Sylvie Carré - La Pleine Conscience


Qu'est-ce que la Pleine conscience?

 

La Pleine Conscience fait partie de la 3ème vague des TCC ou thérapie émotionnelle : il s’agit d’une méthode de gestion des émotions dysfonctionnelles par l’observation et l’acceptation de son expérience vécue (sensations, émotions, pensées, tendances à l’action).

 

Voici une définition de Christophe André (psychiatre) : « La Pleine Conscience consiste à être présent à l’expérience du moment que nous sommes en train de vivre, sans filtre (on accepte ce qui vient), sans jugement (on ne cherche pas si c’est bien ou mal, désirable ou non), sans attente (on ne souhaite pas que quelque chose de précis arrive ou se passe)».

 

La méditation de Pleine Conscience, mindfulness en anglais a été adaptée des pratiques de méditation traditionnelles qui trouvent leurs origines dans le bouddhisme Theravada et Mahayana, en Inde, depuis 2500 ans.

La méditation de Pleine Conscience ou Vipassana, signifie, en sanskrit, voir clairement.

Les premiers à l’avoir importée dans le monde de la psychologie scientifique, et à lui avoir donné son assise et son rayonnement actuel, furent un scientifique américain, Jon Kabat-Zin, et un professeur de psychiatrie et de psychologie canadien, Zindel Segal.

En 1979, aux Etats-Unis, Jon Kabat-Zinn, professeur de médecine, fonde la clinique de réduction du stress à l’Université de Médecine du Massachusetts en proposant le programme MBSR (Mindfulness Based Stress Reduction).

Même si son inspiration est issue de pratiques méditatives bouddhiques, c’est une méditation libre de tout courant spirituel ou religieux qui est enseignée. La pleine conscience n’a pas d’orientation religieuse. C’est une méthode de régulation émotionnelle : il s’agit de développer des capacités d’acceptation, de recul envers les émotions douloureuses.

 

Crée en 1995 par Zindel Segal, John Teasdale et Mark Williams, tous trois Docteurs en psychologie, le programme MBCT fut adapté à partir du programme MBSR. Il combine la méditation de Pleine Conscience, à des outils de la thérapie cognitive de Beck qui aident à se centrer sur le moment présent.

 

Qu'est-ce que le programme MBCT?

 

Le programme MBCT (Mindfulness Based Cognitive Therapy), thérapie cognitive basée sur la Pleine Conscience, est un programme préventif consistant en 8 séances de groupe hebdomadaires de 2H à 2H30 chacune, soit sur 8 semaines. Destiné initialement à prévenir la rechute dépressive chez des patients souffrant d’un trouble dépressif récurrent, l’exploration des effets de la MBCT a été élargie à une pluralité d’autres champs thérapeutiques : son indication s’étend aux troubles anxieux ainsi qu’aux autres troubles dominés par un processus psychopathologique de ruminations mentales : burn-out, trouble d’anxiété généralisé, douleurs chroniques, addictions, troubles du comportement alimentaire,...

Il s’adresse au sujet en rémission clinique, sans symptômes aigus.

 

 

« Comment ça fonctionne ? »

 

Au cours de ces 8 semaines, vous allez apprendre à devenir plus conscient de vos pensées et émotions et à modifier vos rapports avec elles.

En présence d’un état de tristesse minime, les personnes à risque de rechute dépressive ont tendance à ruminer ou à s’attarder sur les raisons de leur humeur triste ce qui, en retour, maintien des pensées négatives qui se chronicisent, les prédisposant ainsi à une rechute.

La pratique de la pleine conscience qui implique le fait d’observer de manière délibérée et sans jugement les sensations physiques, les pensées et les émotions rattachées au trouble sans tenter de les éviter ou de les fuir peut désamorcer l’adoption de comportements dysfonctionnels.

En effet, la MBCT vise la prise de conscience de ce mode de fonctionnement de l’esprit et favorise ainsi la construction d’une nouvelle attitude à l’égard de ces pensées et émotions. Les pensées sont alors vues comme des événements mentaux, indépendamment de leur contenu et de leur charge émotionnelle.

Progressivement, l’entrainement permettra alors de se dégager des automatismes qu’ils soient émotionnels (évitement ou lutte contre les émotions), cognitifs (ruminations) et/ou comportementaux (compulsions).

 

Comme l’explique Christophe André (2010) : Les mécanismes semblent se situer à deux niveaux :

  • d’une part, celui de la régulation cognitive par rapport aux pensées perturbatrices : Les pratiquants réguliers de la pleine conscience identifient mieux le début des pensées négatives, et évitent ainsi de les laisser dégénérer en cycles prolongés de rumination
  • d’autre part, celui de la régulation émotionnelle par rapport aux émotions difficiles : la pleine conscience permet de développer des capacités accrues d’acceptation, de recul envers les émotions douloureuses.

 

Résultats

 

L’efficacité des programmes MBSR et MBCT est validée par des études cliniques depuis plus de 30 ans aux Etats-Unis, la Pleine Conscience apportant des changements cognitifs, émotionnels mais aussi structuraux.

 

Le programme MBCT est une intervention psychologique basée sur la pleine conscience validée par la recherche scientifique et médicale, adaptée aux personnes souffrant de dépression qui tombent facilement dans le piège des pensées négatives.

 

Le programme MBCT est adapté aussi bien au trouble dépressif (hors phase aigüe) qu’au trouble bipolaire stabilisé.

 

Bien que le programme MBCT appliqué au trouble bipolaire (maladie chronique), fasse l’objet d’articles scientifiques, il mérite encore quelques années d’investigation.

 

Le Dr Christine Mirabel-Sarron, précurseur de cette démarche en France, psychiatre, praticien hospitalier à l’hôpital Sainte Anne (Paris) dont j’ai suivi la formation pratique de la MBCT, conduit des groupes MBCT de patients souffrant d’un trouble bipolaire. La Pleine conscience leur permet d’appréhender différemment les fluctuations d’humeur, sans partir dans la spirale de la dépression ou de l’hypomanie.

 

Concernant le trouble dépressif, le problème clinique est sa récurrence, la dépression étant une maladie multirécidiviste c’est-à-dire que, la moitié des personnes qui en fait une, en refera une et ce taux augmente après chaque nouvel épisode, après deux épisodes dépressifs, on note 70% de rechutes, après trois, ce chiffre s’élève jusqu’à 90%.

Les premières études ont montré que ce programme réduisait de moitié le risque de rechute chez les personnes ayant eu 3 épisodes préalables en rémission (sans traitement antidépresseur) : le taux de rechute à un an passant de 63% à 36%.

Des études faites par le psychiatre Zindel Segal ont monté que la méditation de pleine conscience peut avoir un effet comparable à celui d'antidépresseurs. Cependant, la question de savoir si la MBCT peut à ce jour être envisagée en tant que traitement unique reste en suspens.

 

Mécanismes cérébraux de la méditation

 

Les découvertes des bénéfices de la méditation coïncident avec de récentes découvertes neuroscientifiques concernant la plasticité cérébrale c’est-à-dire que la méditation finit par modifier le cerveau, comme le font tous les apprentissages.

 

La méditation recable des circuits neuronaux (c’est-à-dire créer de nouveaux réseaux), ce qui produit des effets salutaires sur l’esprit et le cerveau mais aussi sur le corps tout entier.

 

« Quand vous méditez tous les jours, de 30 à 40 minutes, explique Antoine Lutz, chercheur en neurosciences, cela va avoir un effet physiologique sur le cerveau. Le cerveau d'une personne déprimée présente une hyperactivation de certaines régions cognitives. A l'inverse, la neuroplasticité peut permettre de changer des habitudes mentales, permettre la déconnection de certains réseaux et changer la structure même du cerveau. Des effets sont notés dans des études cliniques sur des expériences de huit semaines, à raison d'une heure par jour ».

 

Mécanismes cérébraux de la méditation :

  •  Meilleure stabilité émotionnelle

Le volume de l’amygdale qui est anormalement active dans les états anxieux et dépressifs (zone d’où sont lancés notamment les messages d’alerte émotionnelle, zone impliquée dans la peur, le stress, l’agressivité) est diminué.

 

  • Augmentation de l’épaisseur corticale

L’épaisseur corticale est augmentée dans l’insula antérieure impliquée dans la conscience intéroceptive et dans l’évaluation de l’intensité de la douleur ainsi que dans le cortex préfrontal qui est impliqué dans les processus attentionnels.

 

  • Augmentation du volume de matière grise

La substance grise est augmentée dans les aires cérébrales impliquées dans les processus d’apprentissage et de mémoire, dans la régulation des émotions : ces zones sont l'hippocampe gauche (régulation de l'émotion, apprentissage, mémoire), le cortex cingulaire postérieur, la jonction temporo-pariétale et le cervelet.

 

  • Protection contre le vieillissement cellulaire

La méditation contribue à augmenter l'activité des télomères. Les télomères, situés à l'extrémité de nos chromosomes, sont porteurs de notre patrimoine génétique. La méditation augmente leur longueur ainsi que  l'efficacité de l'enzyme qu'ils libèrent, la télomérase, ce qui a un effet sur la viabilité des cellules à long terme, longévité diminuant avec le stress chronique.

L'étude Shamatha (Pr Clifford Saron, Center for Mind and Brain, Californie), toujours en cours, réunissant des généticiens et des spécialistes de biologie moléculaire, a mis en évidence, qu'en réduisant le stress et ses effets toxiques sur l'organisme, la méditation rallongerait les télomères et augmenterait le taux de télomérase. Ils viennent de mettre en évidence que la méditation peut influencer l'un des mécanismes les plus fondamentaux de notre biologie : le vieillissement cellulaire. Cette découverte est vraiment stupéfiante ! Cela signifie qu'en méditant, nous influençons notre ADN. 

 

  • Modulation des mécanismes cérébraux de la douleur

Réduction de l’intensité douloureuse ressentie et réduction du caractère déplaisant de la douleur (réduction de la composante émotionnelle de la douleur chez les patients douloureux c’est-à-dire qu’ils la sentent encore mais sont moins dérangés par elle).

 

Effets extra-cérébraux de la méditation :

 

La méditation modifie les taux circulants de neurotransmetteurs « classiques » :

  • Diminution de la noradrénaline : Hormone polyvalente. Une récente étude scientifique (Global Brain Health, Trinity College Dublin, 2018) établit un lien neurophysiologique direct entre notre respiration et notre attention. La méditation, grâce à une synchronisation respiration-attention, permettrait de réguler le taux de noradrénaline, ce qui réduirait le déclin cognitif lié à l'âge dont, la forme principale de ce déclin est la maladie d'Alzheimer.
  • Augmentation de la dopamine : qualifiée d’hormone de l’action, intervient dans la motivation pour agir, atteindre nos objectifs.
  • Augmentation de la sérotonine qui régule nos humeurs, agit comme un euphorisant. On observe un déficit important de la sérotonine chez les personnes souffrant de dépression, les anti-dépresseurs sérotoninergiques ont comme objectif la production de sérotonine.
  • Augmentation des endorphines ou hormones du plaisir, bien connues des sportifs, elles ont un effet euphorique, anxiolytique (soulage l’anxiété) et antalgique (apaise la douleur).
  • Augmentation de l’ocytocine, hormone de l’amour, libérée par les hommes et les femmes lors de l’orgasme. Elle a un rôle essentiel dans le processus de fidélité et d’attachement, elle contribue à l’amour des parents pour leurs enfants, facilite les relations humaines, l’empathie, la confiance, les sentiments positifs et diminue le stress.

Par conséquent, l’amour, le plaisir, le bien-être, la plénitude, facteurs que l’on considère comme des composants du bonheur, ont des constituants biologiques qui, sont influencés par une pratique de la méditation.

 

La méditation régule le système immunitaire en stimulant la production de globules blancs qui luttent contre les virus et bactéries.

 

Indications

Les traitements basés sur la pleine conscience sont efficaces pour :

Indications d’un programme de groupe de type MBCT dans les pathologies psychiatriques suivantes :

  • Réduction des rechutes dépressives : Réduction des symptômes dépressifs, amélioration du bien-être (Teasedale & al., 2000, Ma & Teasdale, 2004, Eisendrath 2008, Segal 2010, Godfrin & al., 2010, Piet & Hougaard, 2011, Kuyken & al., 2016, Williams & al., 2016)
  • Amélioration des troubles anxieux (anxiété sociale, trouble anxieux généralisé, syndrome anxio-dépressif) (Kabat-Zinn & al., 1992, Goldin, 2009, Kim YW., 2009, Hofman & al., 2010, Vollestad & al., 2012, Chen & al., 2012, Norton & al., 2015)
  • Amélioration des troubles du comportement alimentaire : Diminution de la fréquence et de l’intensité des crises de boulimie, amélioration du rapport à la nourriture, amélioration du schéma corporel (Wanden-Berghe, 2011, Godfrey & al., 2015)
  • Effets bénéfiques dans le TDAH (patients souffrant de troubles de l’attention et d’hyperactivité) : Amélioration des capacités attentionnelles et exécutives, diminution des symptômes anxieux et dépressifs (Zylowska & al., 2008, Cairncross & Miller, 2016)
  • Addictions : Diminution de l’abus de substance (alcool, tabac, cannabis) : Prévention de la rechute et diminution de la consommation de toutes substances confondues (Brewer 2009, Bowen 2009, Zgierska 2009, Brewer 2011, Carim-Todd  2013, Oikonomou & al., 2016)
  • Schizophrénie : Effets bénéfiques sur les symptômes de la schizophrénie (Louise & al., 2017, 2018)

 

Indications dans d’autres domaines :

  • Troubles du sommeil (Winbush & Gross, 2007, Gong, 2016)
  • Etat de stress post-traumatique (Hanstede, 2008, Hilton & al, 2016)
  • Troubles obsessionnels compulsifs (TOC) (Kimbrough et al, 2010)
  • Diminution des réactions anxio-dépressives face à une maladie chronique : hypertension, diabète (Hartmann & al., 2012), séropositivité/sida (Gayner B., 2012, Reilly & al, 2014, Yang & al, 2014),...
  • Cancer : Amélioration de la détresse, de l’humeur et de la qualité de vie pour les cancers en général (Musial & al, 2011), le cancer du sein en particulier (Huang & al., 2015), réduction des symptômes anxieux et dépressifs et amélioration de la qualité de vie (Foley E. & al., 2010, Piet & al., 2012), amélioration de la fatigue (asthénie), des troubles du sommeil, de l'anxiété et de la dépression (John & al., 2015) 
  • Stimulation du système immunitaire (Davidson 2003, Pace 2009), chez des patients séropositifs (Creswell J.D., 2009, Jam S. & al., 2010, Gayner B., 2012), chez des femmes atteintes de cancer du sein (Witek-Janusek & al., 2008).
  • Douleurs chroniques (migraines, fibromyalgie, lombalgie...) (Kabat-Zinn & al 1985, Kingston & al 2007, Veehof & al., 2016, Hilton & al., 2016, Cherkin & al., 2016, Cropley & al., 2016)
  • Troubles de la sexualité (Althof, 2010)
  • Difficultés de contrôle de l’impulsivité : (accès de colère, hyperactivité physique)  
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